par Olivier
I. Le Crépuscule avant l’Aube : le mythe Eldar jusqu’à Gathering Storm
Les Eldars sont l’écho mourant d’une grandeur passée. Jadis, leur empire galactique couvrait des millions de mondes, dominé par l’arrogance d’un peuple dont la psyché déformait déjà le Warp par sa seule intensité. À force de suffisance, d’isolement et de plaisirs dégénérés, leur chute fut inévitable. Le cataclysme portait un nom : Slaanesh.
La naissance de ce Dieu du Chaos dans le Warp provoqua la Chute des Eldars (The Fall), absorbant d’un coup l’âme de milliards de leurs congénères. Le cœur de leur empire, transformé en gouffre stellaire, devint l’Œil de la Terreur.
Les survivants se divisèrent en castes distinctes :
• Les Eldars des Vaisseaux-Mondes (Craftworlds), qui avaient fui avant la Chute, embrassant une discipline rigide.
• Les Drukhari, exilés dans la Toile, qui survivent en infligeant douleur et souffrance à autrui pour éviter d’être dévorés par Slaanesh.
• Les Harlequins, serviteurs du dieu moqueur Cegorach, gardiens des anciens mythes.
• Les Exodites, vivant en harmonie avec des mondes sauvages, isolés de leurs cousins.
• Les Corsaires (ou Anhrathes), des Asuryanis ayant rejeté le système des Voies des Craftworlds et qui forment des flottes autonomes.
Mais surtout, parmi les anciens récits, une prophétie ressurgit : le réveil d’un nouveau dieu, né non pas de l’excès, mais du souvenir et de la mort. Ce dieu, Ynnead, représenterait la somme de toutes les âmes Eldar mortes au cours des millénaires, conservées dans les circuits d’âmes de leurs vaisseaux-mondes. Son éveil pourrait vaincre Slaanesh, libérer leur race et entamer une ère nouvelle.
Cette prophétie est esquissée dès la 5e édition (Codex: Eldar, 2009), puis précisée dans la 7e (Codex: Harlequins, 2015), où il est dit :
« Lorsqu’assez d’âmes auront rejoint le circuit d’âmes des vaisseaux-mondes, un nouveau dieu naîtra dans le Warp. Un dieu forgé par le souvenir, la perte et la volonté d’exister. »
Mais au lieu de faire de cette prophétie un arc majeur du récit, Games Workshop l’a laissée stagner… jusqu’à Gathering Storm (2017), promesse d’un renouveau.
II. L’Histoire du Dieu Mort : le réveil d’Ynnead, l’espoir Eldar
Le pari désespéré d’Eldrad Ulthran
Le récit s’ouvre sur une trahison.
Eldrad Ulthran, Grand Prophète du Vaisseau-Monde Ulthwé, l’un des personnages les plus anciens et influents du panthéon Eldar, comprend que le temps de l’inaction est terminé. Malgré les avertissements du Conseil d’Ulthwé, il entreprend le rituel interdit du Réveil, visant à insuffler suffisamment d’énergie psychique dans le circuit d’âmes d’un monde mort de la Toile pour provoquer l’incarnation d’Ynnead.
Ce plan n’est pas nouveau : dès la fin de la 7e édition, Eldrad tente de précipiter l’éveil du dieu. Il le fait seul, dans le secret, car il sait que ni l’Imperium, ni les Eldars conservateurs, ni les Harlequins ne soutiendraient une telle hérésie cosmique.
Le texte du Gathering Storm II (VO, p. 11) est clair :
“Eldrad knew this was no longer a matter of caution. The awakening of Ynnead was no longer a prophecy — it had to become an act of war.”
L’intervention de l’Imperium : la tragédie du réveil inachevé
Alors que le rituel touche à son terme, une force impériale commandée par l’Inquisiteur Greyfax surgit, croyant avoir affaire à une incursion chaotique. Le combat s’engage, et le rituel est interrompu. Mais dans cette fracture, une chose survient que personne n’avait prévue : l’âme d’une Drukhari est captée dans la faille psychique, fusionne avec les énergies d’Ynnead… et revient.
Elle s’appelait Yvraine, succube de Commorragh, exilée pour avoir défié les règles de ses maîtres. À son retour, elle n’est plus tout à fait elle-même.
Elle devient la Prêtresse de la Mort, le premier vecteur de la volonté d’Ynnead. Autour d’elle, le Warp se tord. Les Eldars présents s’agenouillent, certains effrayés, d’autres exaltés. À travers elle, le dieu parle.
L’apparition de l’Yncarne : le souffle de la mort
Et alors, l’Yncarne surgit.
Dans un souffle de lumière et de ténèbres, une forme prend vie : mi-fantôme, mi-divinité. Il n’a pas de visage, mais il en possède mille. Son corps semble s’étirer et se contracter avec chaque pulsation de vie autour de lui. Il ne parle pas : il hurle en silence.
“Where the Incarnate walked, all things withered — yet hope grew in its wake.”
(Fracture of Biel-Tan, Chapitre IV)
L’Yncarne est l’Avatar vivant d’Ynnead, incarnation imparfaite et instable, mais bien réelle. C’est la première fois qu’un dieu Eldar foule la matière depuis la mort de Khaine.
Il ne peut être invoqué que là où un Eldar meurt, et sa présence bouleverse la psyché même des Craftworlders : un dieu né des morts qui pourrait sauver les vivants.
Le ralliement des dissidents : Visarch, Harlequins et exilés
Rapidement, Yvraine est rejointe par d’autres âmes en rupture :
• Le Visarch, un ancien noble d’un Vaisseau-Monde non nommé, peut-être un Prince Exodite, qui devient son protecteur personnel. Son armure rouge sang et sa grande lame — l’une des Croneswords — en font un champion énigmatique et obsédé par la destinée de son peuple. Il parle peu, mais protège Yvraine avec une dévotion presque divine.
• Les Harlequins de la Masque de la Rose Voilée, menés par la Shadowseer Sylandri Veilwalker, voient dans Ynnead un outil contre Slaanesh… ou une autre farce divine à interpréter. Ils ne rient pas, mais ils dansent.
• Des Exodites, gardiens des traditions les plus anciennes, acceptent de prêter serment. Pour eux, la mort n’est pas une fin, mais un cycle — et Ynnead, une promesse.
• Certains Asurya, les disciples des Seigneurs Phénix, observent avec intérêt ce renouveau. Même Jain Zar et Fuegan semblent considérer que la guerre contre Slaanesh pourrait passer par ces hérétiques.
C’est le début de l’Alliance Ynnari, unique dans l’histoire Eldar : Drukhari, Asurya, Exodites, Harlequins et renégats sous une même bannière.
La fracture de Biel-Tan : le prix du renouveau
Yvraine choisit alors de se rendre sur Biel-Tan, le plus martial des Vaisseaux-Mondes, afin de convaincre son peuple d’abandonner la Voie rigide et de rejoindre Ynnead. Elle échoue. Les dirigeants de Biel-Tan refusent l’hérésie.
Mais alors que l’Yncarne apparaît dans le circuit d’âme, le cœur même du Vaisseau-Monde explose. Une blessure surnaturelle fend Biel-Tan en deux. Des milliards d’âmes sont libérées. Le symbole du dieu Khaine, gravé sur la coque, est brisé.
Le texte dit :
“It was not death, but birth through agony. Biel-Tan screamed not in defeat, but in labour.”
C’est à ce prix qu’Ynnead prend véritablement forme.
III. Gathering Storm II – III : la fracture de Biel-Tan et les croisades oubliées
« La fracture de Biel-Tan ne fut pas une fin. Ce fut un cri. Un cri qui réveilla les dieux, les morts, et même des Empereurs oubliés. »
— Masque de la Rose Voilée, récit apocryphe harlequin (trad. issue du White Dwarf #127, 2017)
Après la Fracture : un peuple sans port, une cause sans sanctuaire
À la suite de l’événement cataclysmique de Biel-Tan, les Ynnari ne peuvent plus compter sur le soutien des vaisseaux-mondes traditionnels. Ulthwé ne tolère pas l’hérésie. Alaitoc les ignore. Saim-Hann refuse tout contact. Seule une poignée de volontaires rallie Yvraine, et avec eux, un fragment d’espoir.
C’est alors qu’intervient l’appel de la Toile, cette dimension interstitielle dans laquelle les Eldars voyagent depuis des millénaires. La Masque Harlequin de Sylandri Veilwalker guide Yvraine à travers des routes cachées, jusqu’à un ancien nexus oublié, où le futur du destin Eldar s’écrira aux côtés… d’un Primarque.
Commorragh : la tentative d’assassinat et le soulèvement silencieux
Commorragh, la cité infernale des Drukhari, a toujours été le cœur de la cruauté Eldar. Lorsque les rumeurs de l’éveil d’Ynnead atteignent ses portails, le Conseil Suprême des Archons décide d’agir. Yvraine représente une hérésie inacceptable : une Drukhari ressuscitée, prêchant la mort libératrice au lieu de la douleur éternelle ? Impardonnable.
Le Haemonculus Urien Rakarth, figure monstrueuse et immortelle de Commorragh, décide d’utiliser Yvraine comme sujet d’expérimentation. Elle est capturée par les forces d’un Archon, mais l’Yncarne intervient. La cité, pourtant habituée à la guerre et aux carnages, tremble devant l’incarnation vivante de la mort.
“In the dead silence that followed the Incarnate’s scream, even the Haemonculi were quiet. And that meant fear.”
(Fracture of Biel-Tan, Chap. VI)
Une partie des Drukhari, fascinés, commence à suivre Yvraine. Des gladiateurs, des wyches, des esclaves libérés… un mini-soulèvement éclate. C’est la première fois que Commorragh est secouée de l’intérieur sans intervention extérieure. Mais Yvraine fuit : elle n’est pas prête à conquérir, seulement à semer la graine d’Ynnead.
Klaisus : la planète où la mort donne naissance à l’Alliance
À la suite de ces événements, Yvraine reçoit une vision : l’Empereur de l’Humanité, sur son Trône d’Or, l’appelle à l’aide.
Guidée par Sylandri Veilwalker, elle se rend sur Klaisus, une planète couverte de ruines impériales, où des Space Marines sont tombés au combat. C’est là que repose le corps d’un Primarque : Roboute Guilliman, conservé dans un stase au sein d’un sanctuaire secret des Chevaliers Gris et de l’Adeptus Custodes.
Une bataille éclate. Les Ynnari y affrontent les forces de Tzeentch, et surtout, un Lord of Change qui tente d’empêcher l’éveil du Primarque. Au prix de lourdes pertes — et d’un immense sacrifice psychique de Yvraine elle-même, qui canalise les énergies d’Ynnead à travers sa propre essence — Guilliman est ressuscité.
L’Yncarne hurle au moment de l’éveil. L’espace se fissure autour de lui. Les Harlequins dansent de terreur. Les Eldars… reculent.
“It was a resurrection, not of faith, but of necessity. A god and a corpse. A witch and a king.”
(Rise of the Primarch, Chap. II)
Et ainsi commence la Fracture Galactique, car Guilliman, de retour, relance l’Imperium. Et dans les textes, il se rappelle de ce moment :
“There was one among them — not of our kind — who looked at me not with awe, but with sorrow. She knew more of my fate than I did.”
— Guilliman, journal personnel (source : Codex Imperium Supplément : Croisade Indomitus, 2018)
L’Alliance Ynnari-Imperium : une anomalie diplomatique
Guilliman, pragmatique, tolère la présence des Ynnari. Yvraine, Sylandri, le Visarch et l’Yncarne l’accompagnent jusqu’à Terra, lors de la périlleuse traversée de la faille Warp. Elle y rencontre l’Empereur, dans un moment de silence psychique sidérant : aucun mot n’est prononcé, mais elle repart… changée.
Certains textes (comme Rise of the Primarch, Chapitre final) suggèrent qu’un fragment d’Ynnead est désormais lié à la volonté de l’Empereur, ouvrant la voie à une nouvelle interprétation du “dieu de l’Humanité”.
Mais cette possibilité n’est jamais explorée à nouveau. Pire : dans les publications suivantes, l’existence de cette alliance n’est plus mentionnée.
La bataille contre le Gardien du Cinquième Crynn : l’absurde final
Alors que les Ynnari poursuivent la collecte des Croneswords, ils découvrent que la cinquième épée est gardée dans le Palais de Slaanesh lui-même. Lors d’un raid improbable dans le Warp, Yvraine, le Visarch, l’Yncarne, plusieurs Seigneurs Phénix (Jain Zar et Fuegan sont mentionnés dans White Dwarf, avril 2018), un Solitaire Harlequin, et des centaines de volontaires, affrontent un démon majeur nommé Shalaxi Helbane.
Le combat ? Un massacre. Shalaxi vainc tous les héros, l’un après l’autre, y compris l’Yncarne, sans effort apparent. Puis il déclare qu’il n’était pas à fond. Littéralement :
“I was… restrained. The final blade lies within the Master’s palace. You may come, if you wish to die again.”
— Shalaxi Helbane, Faith & Fury (2019)
À ce stade, la trame narrative Eldar bascule dans le grotesque. Tous les espoirs, toutes les alliances, toutes les convergences mythologiques sont balayés par un antagoniste sorti de nulle part, dont l’unique fonction est de dire : “Non.”
IV. Yvraine, l’Yncarne et le Visarch : les trois visages du Dieu Mort
« Nous sommes nés de la mort. Pas de la fin, mais de la promesse. »
— Yvraine, Gathering Storm II
Yvraine, prêtresse déchue et prophétesse sans fidèles
Origine et transformation
Yvraine est l’un des personnages les plus fascinants (et sous-exploités) de Warhammer 40,000. Avant Gathering Storm, elle n’existait pas. C’est une création originale introduite dans Fracture of Biel-Tan, avec un potentiel narratif immense.
Originaire de Biel-Tan, elle suit d’abord la Voie du Guerrier, puis celle du Sorcier, avant d’être exilée du vaisseau-monde pour des raisons jamais totalement révélées. Elle rejoint alors une bande de Rangers parias, puis embarque à bord d’un navire corsaire, qu’elle finira par commander en tant que capitaine. Mais à la suite d’une mutinerie, elle est laissée pour morte et abandonnée à Commorragh, où elle se voit contrainte de rejoindre les Cérastes pour survivre. Elle gravit les échelons jusqu’à devenir Succube, en grande partie grâce au mécénat d’Aurelia Malys, Archonte influente — et ancienne amante de Vect lui-même.
Cependant, lors d’un duel contre Lelith Hesperax dans l’Arène, elle meurt — poignardée en pleine gloire.
Mais c’est précisément au moment de sa mort que le rituel d’Eldrad libère un fragment d’Ynnead dans la Toile. L’âme d’Yvraine, engloutie par le Warp, entre brièvement en contact avec cette conscience embryonnaire divine. Elle est ramenée à la vie, changée à jamais.
Elle devient une voix. Pas une chef militaire, ni une impératrice, mais une messagère. Son rôle est d’incarner la rupture entre la culture de la douleur (Drukhari) et le nihilisme de la Voie Eldar.
“Death is not to be feared. It is to be worn, wielded, lived.”
— Yvraine, White Dwarf 127
Un personnage féminin complexe… rapidement vidé de sa substance
Pendant Gathering Storm, Yvraine incarne un vrai bouleversement. Elle convainc. Elle affronte des démons, elle ressuscite un Primarque, elle ouvre un dialogue entre Eldars et Imperium. Elle incarne la prophétesse d’une cause neuve.
Mais dans le Codex Aeldari (9e édition), on lit :
“Yvraine’s followers have waned. Many now question her visions. Some suspect she is but another mouthpiece for ancient lies.”
En une page, son autorité spirituelle est effondrée. Elle est redevenue un simple « culte de la mort », marginal, à la limite du ridicule.
Et dans la 10e édition ? Elle n’a même plus de rôle narratif propre. Sa fiche de personnage reste, car la figurine se vend. Mais l’inspiration ? Oubliée.
L’Yncarne : l’avatar inachevé d’un dieu
Une création unique dans l’univers
L’Yncarne est l’incarnation imparfaite d’Ynnead, surgie lors de la fracture de Biel-Tan. Contrairement à l’Avatar de Khaine, forgé dans la lave et la colère, l’Yncarne est le vide : il absorbe les âmes, se nourrit des morts, se manifeste au milieu des cadavres Eldars.
Il n’a pas de genre. Il n’a pas de voix. Il hurle sans son.
Dans le Gathering Storm II, sa première apparition est presque lovecraftienne :
“It came not with fury, but with a quiet despair. As if the galaxy itself mourned and gave it shape.”
Sa puissance est prodigieuse, mais instable. Il combat des Démons Majeurs, des Incantators du Warp, et même un Seigneur Phénix rebelle. Là où l’Yncarne marche, la mort précède la vie.
Sa figurine, spectaculaire, incarne le paradoxe Eldar : beauté, tristesse, menace.
Un dieu… sans plan
Et pourtant. Dans les développements ultérieurs, l’Yncarne n’évolue jamais. Il ne parle pas. Il n’agit pas. Il apparaît… quand un Eldar meurt, puis repart.
Le Codex 10e ne lui donne aucune vision, aucune directive, aucune mission divine. Il n’est même pas mentionné comme entité consciente. Un tour de passe-passe cosmique.
Ce qui devait être le symbole du renouveau d’un peuple devient un outil invocable sur table pour +1 attaque.
Le Visarch : prince silencieux, potentiel trahi
L’ombre du mythe
Le Visarch est le plus énigmatique des trois. C’est un noble Eldar, peut-être Exodite, peut-être Asuryani. Il ne parle presque jamais, mais il veille sur Yvraine comme un chevalier antique, prêt à mourir pour elle.
Sa grande lame n’est autre qu’une des Croneswords, ce qui fait de lui un vecteur du pouvoir d’Ynnead.
Des indices dans Gathering Storm III suggèrent qu’il pourrait être le prince Yriel de Iyanden, revenu sous une autre forme. Mais cela n’est jamais confirmé, et GW ne développe jamais son identité. Pourquoi ? On l’ignore.
“His presence was a wound in the air. He bled serenity and bled wrath.”
— White Dwarf 128
De chevalier à figurant
Dans les publications postérieures, le Visarch devient une figurine d’escorte. Il est là pour tank les tirs qui visent Yvraine. Il n’a aucun développement, aucun dialogue, aucune perspective.
Là où il aurait pu être un héros tragique, hanté par les fautes des anciens rois Eldars, il est devenu un figurant silencieux. Un PNJ narratif dans sa propre légende.
Trois héros, trois destins sacrifiés
En trois tomes, Games Workshop avait réussi à créer une nouvelle trinité Eldar, aux antipodes des clichés marines : une prêtresse hérétique, un dieu sans mots, un champion inconnu.
Mais comme pour beaucoup d’autres projets narratifs hors-Imperium, cette construction a été abandonnée. Leurs arcs ne progressent plus. Leurs dialogues sont absents. Leur rôle est effacé.
Il ne reste que les figurines.
V. Les Croneswords : une quête mythologique devenue farce cosmique
« Quand toutes les lames de la Crone seront réunies, la dernière porte sera franchie, et la mort aura un nom. »
— Prophétie de Lileath, extraite du Codex Eldar Craftworlds (7e édition)
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Les Croneswords : l’héritage de Morai-Heg
Dans le panthéon Eldar, Morai-Heg est la déesse du destin, de la mort et des secrets. Elle est parfois représentée comme une vieille aveugle, parfois comme une vierge de guerre, cousine sombre d’Isha. Elle tenait dans ses mains les fils du destin des Eldars, et buvait le sang de Khaine pour connaître les futurs possibles.
Les Croneswords, ou Épées de la Crone, sont censées être les armes que Morai-Heg a forgées avec les os de son peuple, puis perdues dans le Warp après la Chute. C’est une mythologie matricielle : ces armes représentent la mémoire, la douleur, la mort, et le pouvoir de transcender le cycle de Slaanesh.
Dès la 6e édition, certains récits évoquent leur existence (Codex Harlequins, p. 24), mais c’est avec les Ynnari qu’elles prennent une dimension concrète.
“Each sword is bound to the soul of Ynnead. Each bearer is a vessel, a blade and a bell.”
— Gathering Storm II, Chapitre VII
Les cinq lames : porteurs, symbolique et histoire
1. Kha-vir, l’Épée des Soupirs
• Porteur : Yvraine
• Origine : trouvée dans les ruines du vaisseau-monde fracturé de Biel-Tan
• Symbole : le pardon, la mémoire des morts
• Particularité : l’arme chante. Les âmes des morts la traversent comme le vent une flûte.
C’est l’arme qu’elle manie depuis sa résurrection. Dans Fracture of Biel-Tan, elle transperce un démon mineur, et le hurlement d’Ynnead fait éclater ses os.
2. Vilith-zhar, l’Épée des Âmes
• Porteur : l’Yncarne
• Origine : née avec l’avatar du Dieu
• Symbole : la transition, le pont entre la vie et la mort
• Particularité : ne peut être touchée que par les morts, ou ceux marqués pour mourir.
L’Yncarne ne la brandit pas, elle lévite autour de lui comme une comète de larmes figées.
3. Asu-var, l’Épée des Cris Silencieux
• Porteur : le Visarch
• Origine : volée dans le sanctuaire psychique de Lileath dans la Toile
• Symbole : le serment, le poids des promesses brisées
• Particularité : amplifie les voix intérieures des morts alentour — un duel contre lui, c’est affronter les regrets de sa propre vie.
C’est la plus “martiale” des lames, utilisée par le Visarch dans ses combats contre des démons et des champions du Chaos dans Rise of the Primarch.
4. La Lance du Crépuscule (nom Eldar perdu)
• Porteur : Prince Yriel d’Iyanden
• Origine : héritée dans des circonstances obscures après la chute d’Iyanden
• Symbole : la lignée, l’acceptation de la fin
• Particularité : selon certaines versions, cette arme est une Cronesword déguisée, et réagit à la présence d’Yvraine.
Dans White Dwarf #132, il est mentionné que la lame “pleure” lorsqu’elle entre en résonance avec l’Yncarne, ce qui fait dire aux Harlequins qu’elle n’est “pas ce qu’elle semble être”.
5. La Cinquième Épée
• Porteur : inconnue — volée par Shalaxi Hellbane
• Origine : arrachée à une relique dans les Royaumes du Warp
• Symbole : l’inachèvement
• Particularité : son nom n’a jamais été révélé. Elle se trouve désormais dans le palais de Slaanesh.
Elle est l’objet du dernier arc narratif Ynnari jamais publié — celui où tous les héros sont humiliés.
La quête : promesse mythologique, exécution ridicule
Dans les récits de Gathering Storm et des numéros suivants de White Dwarf, la quête des Croneswords est présentée comme le fil rouge du réveil d’Ynnead. Chaque lame représente un fragment de la conscience du dieu mort. En les rassemblant, Yvraine espère lui donner une voix complète, une volonté capable de défier Slaanesh sur son propre terrain.
“When the five are gathered, the wall shall break, and the cradle of death shall sing.”
— Harlequin apocrypha, recopié dans Codex Ynnari (VO), p. 14
Le format rappelle les grandes quêtes mythologiques classiques : Excalibur, les Silmarils, les Anneaux de pouvoir. Chaque arme nécessite un défi, un voyage, une perte.
Mais… cette structure est interrompue brutalement dans Faith & Fury (2019), une publication mineure, où toute la campagne est résumée en quelques paragraphes. On y apprend que les Ynnari ont rassemblé quatre épées, affronté Shalaxi dans le Warp… et échoué.
Shalaxi bat Yvraine, le Visarch, l’Yncarne, plusieurs Seigneurs Phénix, un Solitaire et 300 guerriers, puis s’en va tranquillement avec la cinquième lame.
Il leur dit, littéralement :
“You are not ready. And I was not trying.”
C’est la fin de la quête. Aucun développement ultérieur. Aucun espoir de revanche. Aucun sens métaphysique exploré. La lame reste à jamais perdue. Le dieu reste inachevé. Le peuple reste maudit.
Une conclusion amère : la poésie Eldar sacrifiée
Ce qui devait être l’Odyssée d’un peuple mourant est devenu une suite de lignes dans des suppléments marginaux. Les Croneswords, symboles de l’identité Eldar, n’ont pas de passé. Pas de gardiens. Pas d’épreuves. Elles sont juste… ramassées, brandies, puis volées.
Games Workshop, en évitant soigneusement de conclure l’arc narratif, choisit de ne pas prendre de risque. Au lieu de faire d’Ynnead un vrai dieu du panthéon, ils figent le récit. Et tuent l’espérance Eldar une seconde fois — sans même un poème pour l’accompagner.
VI. Une critique du traitement narratif : l’échec du mythe Eldar dans Warhammer 40K moderne
« Le futur est une toile que nous avons tissée nous-mêmes. Alors pourquoi tremble-t-elle sous les pas d’un empire qui n’est pas le nôtre ? »
— Eldrad Ulthran, Fracture of Biel-Tan
Gathering Storm : une rupture narrative… volontairement avortée
La trilogie Gathering Storm (2017) avait été annoncée comme un événement historique, non seulement pour l’Imperium (avec le retour de Guilliman), mais pour l’univers dans son ensemble.
Du côté Eldar, c’était la première fois depuis vingt ans qu’un arc narratif majeur, impliquant :
• Un dieu naissant (Ynnead),
• Une fusion des différentes sous-factions Eldars (Craftworlds, Drukhari, Exodites, Harlequins),
• De nouveaux personnages forts (Yvraine, Visarch, Yncarne),
• Et un conflit cosmique contre Slaanesh,
était mis en avant, développé, scénarisé, mis en figurines. Tous les éléments étaient réunis pour changer la place des Aeldari dans le lore de 40K.
Mais rapidement, le ton change.
Dans les années suivantes (2018–2024), on observe :
• Une quasi-absence d’évolution narrative pour Yvraine et les Ynnari.
• Des codex qui réduisent leur rôle à une note en bas de page.
• Des citations qui discréditent leur importance (« culte de la mort marginal », Codex Aeldari 10e éd.).
• Des publications importantes (Pariah Nexus, Psychic Awakening, Arks of Omen) qui ne les mentionnent même plus.
Pourquoi cet abandon ? Hypothèses (malheureusement plausibles)
1. La peur de déséquilibrer le statu quo “Marine-centré”
Warhammer 40K est un univers où les Space Marines sont le pilier commercial. Guilliman, Primarques, Chapitres, croisades — ce sont eux qui génèrent le plus de ventes, de romans Black Library, de figurines, de jeux vidéo.
Un arc narratif où une faction alien, antique, poétique, défie les dieux du Chaos et ressuscite un Empereur (Guilliman) ? Cela menace de recentrer le lore autour d’autre chose que l’Imperium.
L’équilibre éditorial est rompu. Pour éviter que cela ne déplaise à la majorité des joueurs “Imperium”, les Eldars redeviennent des figurants.
“Les Eldars sont un peuple qui refuse de disparaître. Dommage que leurs auteurs l’aient oublié.”
— Player Feedback, Warhammer Community forum, 2021
2. Une vision trop ambitieuse pour le modèle narratif GW
L’arc des Ynnari proposait :
• Une théologie neuve,
• Une faction hybride,
• Une réflexion sur la mort, le destin, la rédemption…
Or Games Workshop fonctionne avec un modèle narratif beaucoup plus simple : guerre perpétuelle, ennemis clairs, héros identifiés, phrases choc.
Le silence mystique de l’Yncarne, la douleur intérieure du Visarch, les sermons brisés d’Yvraine… ne correspondent pas à la narration hollywoodienne actuelle de l’Imperium.
Incohérences créées par le retour au statu quo
Eldrad Ulthran
Dans Gathering Storm, il est prêt à sacrifier sa réputation, son âme, son avenir, pour éveiller Ynnead. Il viole des tabous millénaires, il trahit Ulthwé, il défie même Cegorach.
Mais dans les codex suivants ? Il est de retour sur son vaisseau-monde, comme si de rien n’était, reprenant ses fonctions de Conseiller.
Aucune mention de punition. Aucun souvenir. Aucun développement.
C’est comme si tout cela n’avait jamais eu lieu.
Biel-Tan
Le vaisseau-monde a été littéralement fracturé. Son circuit d’âme a explosé. Des milliards de morts. La structure de la coque a été transformée.
Mais en 9e et 10e édition, il est dit :
“Biel-Tan is being repaired. The wounds run deep, but the warriors endure.”
En gros : “c’est cassé, mais on répare”.
Un retour au statu quo sans conséquence, comme un reboot silencieux. Aucun monument. Aucun hommage. Aucun traumatisme.
Ynnead lui-même
Le dieu a été évoqué, nommé, manifesté, et même lié à Guilliman dans Rise of the Primarch. Certains textes suggèrent qu’un fragment de son essence est maintenant fusionné à l’Empereur.
Et depuis ? Silence total.
Pas une ligne dans Pariah Nexus, Arks of Omen, Codex Chaos, ni dans Wrath of the Soul Forge King. Aucun Chaos God ne semble inquiet. Aucun Eldar ne semble concerné.
Une fois de plus : les non-humains sacrifiés
Ce n’est pas un cas isolé. Les Eldars ne sont pas les seuls à souffrir du traitement narratif GW. D’autres factions ont subi le même sort :
• Les Tau, après l’exploration de la 4e sphère d’expansion : promesse de guerre dans le Warp… puis retour à la norme.
• Les Necrons, dont le Roi Silencieux a ressurgi avec fracas… puis a été réduit à un boss de mission.
• Les Tyranides, qui menacent la galaxie entière… mais sont systématiquement vaincus par un héros Marine.
Mais dans le cas des Eldars, le contraste entre la promesse et la chute est le plus brutal.
Ils avaient une trinité narrative forte.
Ils avaient un dieu en construction.
Ils avaient un arc mythologique épique.
Et ils avaient une faction commercialement viable (figurines neuves, forte identité visuelle).
Tout cela a été jeté, sans explication.
Épilogue : Ynnead ne mourra peut-être pas. Mais il n’écrira plus.
La tragédie Eldar n’est pas seulement celle d’un peuple fictif. C’est celle d’un panthéon narratif abandonné, d’un souffle poétique réduit au silence.
Des joueurs y croyaient. Des auteurs aussi. Mais l’immobilisme scénaristique de Games Workshop a tout recouvert. Le Dieu de la Mort est né… mais n’a plus de voix. Yvraine continue à errer dans la Toile… mais sans dessein.
Et les Eldars, peuple des songes et de la mémoire, ne deviendront pas une mémoire.
Car Games Workshop a préféré les oublier.

« Ynnead viendra. Pas dans la douleur, pas dans la gloire. Il viendra dans le silence, dans l’ultime soupir de notre race. Mais s’il faut hâter son arrivée, alors je lui donnerai mon propre souffle. »
— Eldrad Ulthran, Fracture of Biel-Tan, Chapitre II

Et pendant ce temps Caldor Drago, lui, continue sa petite randonnée tranquille dans l’Immaterium.
Depuis des siècles, ce brave Grey Knight se balade d’un pan de réalité démoniaque à l’autre, laissant derrière lui un sillage de cadavres warpifiés et de princes démembrés.
Il grave même son nom sur le trône de Mortarion, parce qu’il avait cinq minutes et un gros stylo.




























